Je pars dans les Bouches-du-Rhône pour apprivoiser les conditions de l’hiver, le froid et la nuit plus longue que le jour. C’est un petit pas de côté qui m’écarte de ma zone de confort habituelle, un petit pas de côté légèrement inquiétant, indéniablement séduisant et qui me donne l’impression de partir à l’aventure.

D’abord imaginé en solitaire, j’ai été périodiquement entourée de deux femmes formidables pendant mon périple. Je commence dans les Calanques avec Agnès, qui s’engage pour sa première randonnée itinérante. Quelques jours plus tard, Marguerite me rejoint au pied de la montagne Sainte-Baume et nous partageons notre première sortie d’escalade en autonomie. Je continue mon chemin seule sur les crêtes de la Sainte-Baume et de la Sainte-Victoire.

Mon sac est prêt, j’y vais !


22 janvier 2018 (jour 1) – Arrêt dans la Drôme pour les derniers préparatifs avec Agnès : notre nourriture est pesée, fractionnée, empaquetée… et nous prenons le train vers Marseille ! Réjouies par la présence du soleil, nous dévorons chacune deux énormes parts de pizza sur le port. Notre première étape se résume à traverser la ville pour rejoindre le quartier de la Madrague où commence notre GR. Nous admirons le coucher de soleil en attendant de pouvoir nous installer dans notre logement pour la nuit.

23 janvier (jour 2) – Nous partons au petit matin et nous entrons dans le parc des calanques ! Le soleil et le mistral nous accompagnent. Absorbées par le paysage, nous avançons gaiement, oubliant presque les kilos que nous trimballons sur notre dos.

24 janvier (jour 3) – Nous crapahutons sur le chemin des crêtes pendant la journée sous un ciel couvert. Nous faisons une halte éclair à Cassis en fin d’après-midi pour remplir nos gourdes, puis nous quittons la ville pour bivouaquer.

Sortir de Cassis par le GR rime avec grimpette ! Nous progressons sur la route vers le Bau de la Saoupe (309 m), rien de très amusant… Là-haut, nous avalons en vitesse notre dîner refroidi en quelques minutes par le vent. Il n’y a aucun replat pour installer la tente à part sur le chemin caillouteux. Nous passons la nuit à la belle étoile protégées par les pins, enveloppées dans nos épais duvets en respirant l’odeur de la pinède.

25 janvier (jour 4) – Le mauvais temps s’installe et nous décampons de bonne heure. Le mistral souffle toujours alors que nous avançons sur les hauteurs de Ceyreste jusqu’au cabanon des Gardes. La petite habitation est sommairement aménagée mais bien isolée et nous ramassons suffisamment de bois aux alentours pour passer une soirée au coin du feu. Vers midi, un groupe de randonneurs rejoint le refuge pour déjeuner et se mobilise pour remplir nos gourdes vides, nous évitant ainsi de marcher 10 km pour nous ravitailler au village, super !

26 janvier (jour 5) – C’est la fin du voyage pour Agnès qui regagne La Ciotat sous une averse. J’avance vers la montagne Sainte-Baume. La pluie ne faiblit pas, elle s’infiltre peu à peu dans mes vêtements et je m’arrête dans un centre équestre pour passer la nuit. Dans une annexe de la maison qui jouxte les boxes, René m’installe un petit chauffage à gaz et Isabelle me prête un bouquin, c’est la belle vie ! Vers 16h, j’entends mon voisin s’impatienter dans son box, c’est l’heure de la ration et j’accompagne René pour la distribution du foin.

27 janvier (jour 6) – Malgré le mauvais temps, des cavalières s’entraînent dans la carrière détrempée. À leur retour aux écuries, nous papotons en nettoyant les équipements gadouilleux. Vers midi, la pluie s’arrête enfin. En route ! René propose d’aller chercher Marguerite à Aubagne puis de nous déposer à Gémenos. Une autre aventure commence : rejoindre le site d’escalade. Nous mettons moins de temps à faire du stop qu’à trouver la falaise… Mais une fois arrivées, nous sommes ravies !

28 janvier (jour 7) – Nous passons la journée sur la falaise !

29 janvier (jour 8) – Marguerite reprend le train en début d’après-midi vers Paris. Quant à moi, je scrute de nouveau les troncs d’arbres et les roches à la recherche de la balise blanche et rouge qui m’indique le chemin à suivre. Je grimpe par un petit sentier escarpé jusqu’au pic de Bertagne (1042 m), il est reconnaissable grâce au radar de l’aviation civile implanté à son sommet.

Je suis bien sur les hauteurs ! La vallée en contre-bas est sous les nuages mais moi j’ai un premier aperçu de mon itinéraire des 5 prochains jours : je vais commencer par me rendre jusqu’à la tourelle dans l’ombre à droite de la photo. Une fois là-haut, je longerai les crêtes de la Sainte-Baume pour ensuite traverser la vallée et gagner la Sainte-Victoire qui se détache timidement des nuages à l’extrême gauche de la photo.

Sur le plus haut point de la deuxième ligne de crêtes, une tâche blanche est visible, c’est la tour de l’ermitage de Saint Jean du Puy où je dormirai dans deux jours. Au loin dans les nuages, ce sont les falaises de la Sainte-Victoire.

Je progresse sur les crêtes de la Sainte-Baume. Il est 16h lorsque j’arrive à la petite chapelle de Saint-Pilon (963 m) qui marque la fin du GR 98. Des randonneurs m’ont recommandé un gîte d’étape 300 mètres plus bas mais la perspective d’une nuit au sommet est largement plus séduisante. Je m’installe tout près de la grotte de Sainte-Marie-Madeleine. En début de soirée, les nuages s’installent sur le massif mais c’est presque la pleine lune et j’ai à peine besoin de ma frontale, la montagne est lumineuse.

30 janvier (jour 9) – Le lendemain matin vers 7h, seule la ligne de crêtes dépasse des nuages. J’ai l’impression d’être seule au monde sur cette montagne… Seule au monde, pas sûre ! Un petit troupeau de biquettes me rend visite !

Alors que j’avale mon muesli au soleil, je contemple les nuages s’élever progressivement depuis la vallée et commencer à couler doucement sur la montagne. Très rapidement, je n’y vois plus grand chose et c’est le moment de retrouver la vallée par le GR 9.

Malgré les éclaircies annoncées, le ciel reste chargé. J’avance dans la forêt domaniale de la Sainte-Baume où coulent de nombreux cours d’eau translucides qui ne sont pas toujours faciles à traverser sans se mouiller les pieds… En passant à Saint-Zacharie (265 m), j’achète un bout de fromage et je me dirige vers l’ermitage de Saint Jean du Puy pour passer la nuit. Installé au sommet d’une colline à 658 mètres, il a été fondé au 5ème siècle et a été occupé successivement par des moines jusqu’au 15ème siècle puis par plusieurs ermites jusqu’à la Révolution.

Le site offre un beau panorama sur les alentours : d’un côté la ville de Saint-Zacharie et la montagne Sainte-Baume au loin. De l’autre côté, il domine la vallée de l’Arc et la ville de Trets tout en faisant face à la montagne Sainte-Victoire. Je ravive quelques braises pour manger près du feu avant de m’endormir dans le refuge dont la fenêtre à barreaux donne sur Saint-Zacharie.

31 janvier (jour 10) – Je traverse la vallée de l’Arc jusqu’à la Sainte-Victoire. L’étape me semble interminable… Heureusement qu’il fait beau ! Les kilomètres s’étirent sur les petites routes planes qui serpentent entre les champs de lavande et les vignobles.

En fin d’après-midi, je m’installe dans un gîte d’étape dans le village de Puyloubier (380 m) niché au pied de la Sainte-Victoire. Demain, je monte !

De retour d’une journée de travail dans les vignes, Daniel, Patrick et Raphaël entrent bruyamment dans la maison, disposent sur la table les restes de leur déjeuner et m’invitent naturellement à me servir : pain, saucisson, pâté, fromage, bouteille de vin. Plus tard, ils partagent avec moi leur repas, un lapin en sauce savoureux. Ils ont des visages qui m’inspirent confiance, marqués par le froid et le soleil, la peau mate, de longues rides profondes, les yeux rieurs.

1er février (jour 11) – Il est 8h lorsque je quitte le gîte. À la sortie du village, un homme arrête sa voiture pour m’avertir que je vais « prendre une rincée » en montant. Je tente le coup… Et comme prévu, je suis rattrapée par l’averse. Les crêtes sont balayées par un vent qui me glace jusqu’aux os. J’entraperçois les falaises à pic à quelques mètres du chemin et j’avance prudemment sur les roches glissantes. La montagne a des couleurs pastel, les silhouettes des arbres se diffusent dans le brouillard comme des pigments sur du papier mouillé, je trouve ça fabuleux : la montagne est trempée, moi aussi, je marche dans une aquarelle…

Ma montre a déjà bipé midi lorsque j’atteins le Prieuré (946 m). En poussant la porte du refuge, je découvre avec surprise une quarantaine de personnes attablées. Qu’importe la météo, les bénévoles ayant restauré le site fêtent la fin des travaux. À l’intérieur, il fait chaud, ça sent bon, ça rigole et ça chante ! Deux hommes installés en bout de table devinent que je meurs de faim. Je dévore une énorme assiette de pâtes accompagnées de pieds paquets (une spécialité du coin cuisinée avec de la panse et des pieds de mouton, le tout mijoté dans une sauce au vin blanc et à la tomate). Le ventre plein, je m’installe bien accompagnée sur un tabouret près du feu, nourrissant l’espoir de faire sécher mes chaussures par la même occasion. Très rapidement la salle est rangée et nettoyée, on me laisse quelques bûches pour la soirée et tout devient soudainement silencieux. J’ai presque l’impression d’avoir rêvé…

Jusqu’au soir, le brouillard enveloppe le Prieuré d’une ambiance sobre et mystérieuse. Le refuge est l’ancien bâtiment de vie des moines, appelé familièrement « monastère », construit au 17ème siècle. Alors que mes affaires sèchent près du feu, je profite du calme du lieu pour rédiger quelques notes de voyage. Le vent qui souffle dehors produit un étrange sifflement rauque et irrégulier, on croirait presque que le monastère ronfle. Vers 19h30, ma dernière bûche se consume et je m’apprête à me glisser dans les plumes de mon duvet. C’est alors que j’aperçois un halo de lumière au dehors. Pas de révélation divine, c’est un homme en chair et en os qui pousse la porte. Xavier connaît la montagne comme sa poche et déjeune tous les jeudis soirs ici. Autour d’une petite lampe en plastique, il boit une soupe fumante et pique des filets de maquereaux du bout de son couteau. Nous discutons de tout et de rien plus ou moins sérieusement. Lorsqu’il quitte le refuge, je suis de nouveau gagnée par le calme et la sérénité qui se dégage du lieu. La lumière des dernières flammes vacille sur les murs en pierre et je m’endors sur un bat-flanc en bois.

2 février (jour 12) – Pendant que l’eau de mon thé chauffe, je jette un coup d’oeil dehors, le brouillard s’est dissipé. C’est parfait pour monter jusqu’à la croix de Provence ! La croix actuelle est le quatrième monument dressé en ce lieu, les trois autres ayant subi les ravages du temps et ayant dû être rebâtis. La première croix de Provence a été érigée au 16ème siècle.

La Sainte-Victoire ne m’offre aucun répit, le vent est polaire… Mais ça vaut le coup ! Je suis si émue d’être ici après 12 jours de marche hivernale.

Je rejoins Aix-en-Provence tranquillement. J’ai le temps, je m’installe sur la terrasse d’un café pour regarder passer les gens. Puis je me trompe de gare routière, heureusement que mon car arrive avec une heure de retard…