Je vais marcher sur une portion d’un chemin de grande randonnée, le GR® 9. Mon itinéraire débute dans la Drôme provençale près de Buis-les-Baronnies, puis s’oriente vers le nord dans la région du Diois pour rejoindre le massif du Vercors. Pendant les 8 premiers jours, je marcherai seule et j’ai décidé de partir sans tente pour alléger mon sac. Pour les quatre derniers jours, je serai en compagnie d’Agnès, Justine et Pierre. Le hasard d’une rencontre me fera prolonger mes vacances et je partirai construire un igloo sur les hauts plateaux du Vercors avec Daniel. C’est parti pour quinze jours de rando !


1er avril 2018 (jour 1) – Depuis 6h ce matin, j’enchaîne les moyens de locomotion : le métro, le train puis le car et enfin le stop ! La portière de la voiture est à peine claquée que je m’empresse déjà de repérer la première balise. J’aperçois les deux lignes blanche et rouge plus loin sur un panneau de signalisation. Le sac a beau être lourd, chaque départ se fait le cœur léger. Je déjeune dans un champ d’oliviers qui surplombe le village de Buis-les-Baronnies en face du rocher Saint Julien. Je m’arrête un peu à l’écart du chemin pour passer la nuit. Les premières fleurs du printemps donnent de la couleur au sous-bois : primevères et anémones hépatiques se faufilent entre les feuilles. Je m’endors au pied d’un pin sylvestre à l’écore rouge. Toute la nuit au dessus de ma tête, la lune défile au travers des épines.

2 avril (jour 2) – Je progresse avec surprise sur des pistes désertes qui serpentent entre de petites montagnes. Ce relief tourmenté ne parvient pas à contenir le regard : aussitôt que l’œil s’accroche à un affleurement rocheux, il est attiré par la courbe d’une arête, glisse sur un versant, plonge avec une falaise ou grimpe sur un pic isolé.

La petite ville de Nyons est bâtie dans une cuvette naturelle creusée par la rivière d’Eygues. De la musique se dégage du bourg animé par une fête foraine, les sons résonnent dans la vallée, rebondissent sur les versants et s’élèvent avec le relief. Le tracé du GR® s’engage sur la montagne des Vaux (877m) et il faut attendre quelques kilomètres pour que la musique s’essouffle totalement. Au sommet, je dépose mon sac et toute la fatigue de la journée. J’étale mon matelas sur un minuscule replat entre les buis, et je m’endors dans le silence alors que la vallée commence à s’éclairer.

3 avril (jour 3) – Le grand plateau incliné d’herbe rase de la Montagne de la Lance (1327m) semble avoir perdu des couleurs sous le ciel gris. Le charme brut des mauvais jours. La paroi rocheuse se fracture en d’étranges blocs rectilignes. Par petites touches, quelques pins courbés par les vents dominants s’accrochent à la montagne. En fin d’après-midi, je m’arrête à l’auberge de Fontlargias (545m), le sourire de Corinne m’y accueille. J’y rencontre Christina et Michaël, deux passionné·e·s de randos qui partagent volontiers des conseils et quelques bonnes histoires !

4 avril (jour 4) – Ce matin, les nuages sont gris plomb, l’orage menace… Alors que je traverse de centre de Dieulefit, une voix s’élève d’une terrasse ensoleillée pour me souhaiter une bonne rando. La conversation s’engage et je me retrouve bientôt à suivre ce couple dans la rue principale de la ville. Muriel et Alex m’offrent un accueil spontané et bienveillant dans une maison familiale chargée d’histoire. Ces rencontres inattendues n’ont de cesse de m’émerveiller. Je passe l’après-midi à me reposer au soleil, planter des arbustes dans le jardin et discuter en préparant le repas pour recevoir des invités qui doivent venir dîner dans la soirée.

5 avril (jour 5) – Objectif de ma journée : dormir sur les Trois Becs. Une longue journée m’attend. Avaler les kilomètres d’une traite dans ce décor s’avère illusoire ! Le Diois me surprend. Je m’arrête souvent pour contempler et photographier les paysages. À cheval entre deux univers, celui de la vallée du Rhône et celui du piémont des Alpes, la région compense ses altitudes moyennes par des reliefs tourmentés traversés de plissures.

Curieusement, la beauté des paysages n’attire pas grand monde car je suis seule sur les chemins depuis mon départ. Au bout que quelques jours, j’ai l’impression que rien ne semble pouvoir troubler le silence qui m’entoure. Bien sûr, je ne suis jamais seule très longtemps, j’aperçois souvent une maison isolée et je traverse de nombreux villages où mes haltes se prolongent parfois pour discuter. Et pendant que ça papote, ça n’avance pas ! L’après-midi est bien entamé lorsque je quitte Bordeaux. Au loin, je commence à apercevoir les Trois Becs.

Au sommet des Trois Becs (1217m), les abords de la piste forestière creusée à même la montagne sont beaucoup trop abrupts pour passer la nuit. Mauvais plan ! Je repère un refuge sur la carte situé à 5,5km… Le large chemin plat est d’une monotonie accablante et n’offre aucune perceptive au regard. A chaque enjambée, je sens mes pieds s’écraser lourdement sur le sol. J’en ai plein les pattes ! Pour penser à autre chose, je me concentre sur les lignes que forment les ombres des branches sur le chemin… Lorsque, enfin, je pousse la grosse porte en bois du refuge, la forêt de Saou est déjà plongée dans une semi-obscurité. Le faisceau blanc de ma frontale balaie l’intérieur d’une immense salle allongée. Deux minuscules fenêtres trouent la façade et une atmosphère froide se dégage du bâtiment. À l’extrémité de la pièce, un poêle trône dans la pénombre. Les personnes qui sont passées avant moi l’ont préparé pour l’allumage avec du petit bois sec, super ! Je n’ai pas l’illusion de réchauffer l’habitat mais la sensation de chaleur dans mon dos alors que je mange est agréable. Objectif des Trois Becs : atteint ; bivouac : pas top ; allez, bonne nuit !

6 avril (jour 6) – Je file en direction des crêtes des Trois Becs. Là-haut, je suis d’humeur paresseuse, le soleil chauffe ma doudoune sombre et les hirondelles de roches virevoltent le long de la falaise. J’y reste une bonne heure à contempler le paysage : la forêt de Saou dans sa vallée d’altitude, les massifs enneigés du Vercors et du Dévoluy au loin, et le village de Saillans à 1000 mètres en contre-bas qui est ma prochaine étape.

Vers 14h, je suis dans la vallée et je jette un dernier coup d’œil aux Trois Becs avant de rejoindre Saillans (277m) où je fais une courte halte le temps de craquer pour un fromage de chèvre bien sec. Je me dirige vers le Vercors dont j’aperçois son point culminant entre les pins, le Grand Veymont.

Il est 16h passées et je promène mon regard aux abords du chemin avec l’application propre aux fins de journée. Inutile ce soir ! Le lieu du bivouac s’impose lorsque j’aperçois la minuscule chapelle Saint-Christophe. Autour de l’édifice, une silhouette décrit d’étranges va et vient… Le visage mince, les cheveux blancs très courts, le regard vif, Daniel cherche un gant égaré. Il me demande avec curiosité si je vais dormir là. Ça commence comme ça avec Daniel, une histoire de gant et de chapelle… On discute jusqu’au soir, la nuit tombe, le vent se lève avec les étoiles, les pins remuent, il commence à faire froid. Sa femme l’attend chez lui, alors il sort de sa poche une lampe frontale avant de s’engager d’un pas énergique sur le chemin. Je reste seule sous la voute céleste piquée d’étoiles, étourdie d’avoir un nouveau numéro dans mon téléphone, prénom : Daniel, nom : CAF (pour Club Alpin Français). J’ai du mal à y croire, je vais sûrement aller construire un igloo sur les hauts plateaux du Vercors !

7 avril (jour 7) – Les murs de pierre de la petite chapelle noyés de soleil la veille ont diffusé une chaleur douce jusqu’au matin. J’ai très bien dormi ! A midi, je passe à Beaufort-sur-Gervanne qui marque la fin d’une portion du GR®. Ça se fête : je me goinfre de 3 cookies ! Je suis en avance sur mon itinéraire, mais il n’est que midi et j’hésite à m’arrêter. Après 6 jours de marche, mes muscles habitués à l’effort ne demandent qu’à bouger. Pourrais-je rejoindre le Vercors et le petit village de Léoncel ce soir ? Il reste encore une vingtaine de kilomètres et pas mal de dénivelé… Je me sens en forme, allez, je tente ! J’atteins rapidement le village de Plan-de-Baix dominé par la barre rocheuse du Vellan (953m).

Sur les plateaux herbeux jusqu’à Léoncel, l’épuisement se fait sentir. À haute voix, je parle à mes jambes fatiguées qui avancent de manière automatique depuis plus d’une heure déjà. Je les félicite de m’avoir amenée jusqu’ici et je les encourage pour finir la journée. Tout au bout, loin là-bas, j’aperçois l’abbaye, le village, c’est mon étape et la promesse d’une nuit de repos au chaud. Le soleil décline et un rayon éclaire le clocher de l’abbaye. Cela me redonne de l’énergie, cette fin d’étape à quelque chose de magique.

Arrivée au village, j’avance vers une bande de copains installés devant l’abbaye. Ils ont réservé le gîte communal pour le week-end à l’occasion d’un enterrement de vie de garçon. Olivier, le futur marié, Bastien, Pierre, Loïc, Samuel, Antoine, Élie sont surpris par mon arrivée impromptue à 19h30. Quant à moi, je suis embarrassée de m’immiscer dans leur soirée. Il n’y a qu’un gîte… Assez rapidement, ils m’annoncent que le huitième et dernier lit est inoccupé, ça me va ! Ils forment tous les sept une belle et drôle bande de copains, j’admire la cohésion qui se dégage de ce petit groupe. Ils sont heureux d’être ensemble, d’une gentillesse légère, touchants chacun dans leurs attitudes et leurs caractères, et c’est un plaisir de partager la soirée avec eux.

8 avril (jour 8) – Après le petit-dèj, ils se préparent pour rentrer chez eux aux quatre coins de la France. J’ai un jour d’avance, Agnès, Justine et Pierre qui doivent me rejoindre, n’arriveront que demain. Je pars marcher quelques heures jusqu’au col de la Bataille sur des chemins encore enneigés. À mon retour, je suis frappée par le silence qui règne dans la pièce et j’éprouve une étrange sensation… Quelque chose de cette marche solitaire s’achève ici, sous la voute de cette abbaye centenaire, je le réalise soudainement.

9 avril (jour 9) – Le groupe arrive dans la matinée avec un enthousiasme débordant. Pierre est ravi de découvrir un peu plus le Vercors, Agnès baptise son nouveau sac à dos, et Justine s’est laissée embrigader pour une première marche itinérante malgré sa petite forme… Sirop et mouchoirs dans le sac, elle se lance !

Nous marchons vers le nord en fond de vallée avant de grimper. Depuis notre promontoire, j’aperçois un animal au poil sombre trottiner en contre-bas le long de la lisière des arbres… Est-ce un chien solitaire… Ou un loup ? Je n’en serai jamais certaine… Même si, après quelques recherches, j’apprends qu’une meute a été filmée deux mois plus tôt à quelques kilomètres d’ici, à Bouvante. Nous passons la nuit dans les gorges de la rivière de Léoncel près de Saint-Martin-le-Colonel et nous essuyons une averse au petit matin.

10 avril (jour 10) – Aujourd’hui, une belle étape nous attend. Le GR® contourne Saint-Martin-le-Colonel puis traverse Bouvante-le-Bas (471m) avant de s’engager sur le chemin de Manamillié. La piste grimpe interminablement entre les arbres et propose quelques rares points de vue comme sur le roc de Toulau près du col de la Bataille. Une montée costaude pour la deuxième journée… Mais inévitable, le groupe est au courant et s’arme de détermination. Chaque personne trouve son rythme, et deux heures plus tard, nous voilà en haut ! Après le pique-nique, nous coupons avec plus ou moins de facilité dans la forêt pour rejoindre rapidement le plateau de Lente (1144m). La plaine est balayée par un vent froid, les tentes sont encore mouillées de l’averse de la nuit dernière et la troupe a besoin d’un repos bien mérité. En activité l’hiver, la station de ski est presque déserte en ce début de mois d’avril. Je me démène pour faire ouvrir un petit gîte, et ça fonctionne !

11 avril (jour 11) – La nuit est réparatrice. Aujourd’hui, beaucoup de descente sur des chemins forestiers et quelques portions de route qui nous éloignent du Serre de Montué enneigé. Nous contournons la montagne de l’Écharasson, avant de surplomber la combe Laval, une vallée profonde qui débouche sur la plaine du Rhône.

En fin d’après-midi, nous arrivons à Pont-en-Royans (231m). Léopold nous y attend. Il vient chercher Justine qui doit retourner travailler. Mais l’aventure ne s’arrête pas là, car demain soir, nous devons nous retrouver et passer une nuit en refuge ! Pour alléger nos sacs, nous déposons quelques affaires dans le coffre de la voiture.

12 avril (jour 12) – La journée commence tranquillement dans les gorges de la Bourne… puis ça monte ! Les falaises sont vertigineuses. Un sentier sinueux s’engage entre les rochers de Presles et du Ranc.

En début d’après-midi, nous sommes proches du refuge (1075m). Le site offre une vue fabuleuse sur les villages perchés de Saint-Julien et Saint-Martin-en-Vercors. Les hauts plateaux sont visibles au loin. Le hameau de la Goulandière a été habité jusqu’au début du 20ème siècle. Composé de plusieurs habitations en ruines, l’une d’elle a été restaurée pour devenir un refuge. Nous profitons de l’après-midi pour couper du bois et déguster un chocolat chaud en poudre. Vers 17h, nous prenons la direction de La Siva pour attendre Justine et Léopold sous le porche de l’ancienne école. Nous salivons déjà en imaginant le repas ! Mais de mauvaises nouvelles nous parviennent : cols enneigés, routes barrées et longs détours compliquent les retrouvailles. Nous avons froid et la nuit va bientôt tomber, alors, avant que les batteries de nos portables respectifs soient épuisées, nous parvenons à joindre l’équipe voiture pour annuler la rencontre.

Sur le chemin du retour vers le refuge, nous faisons l’inventaire sous un superbe ciel rose et bleu. De quoi disposons-nous pour passer la nuit ? Nous vidons nos sacs : un reste de semoule, du gaz, un duvet, un matelas, 3 couvertures de survie, nos lampes frontales, un fond de gourde. Avec le vieux matelas taché et les 2 couvertures crades qui traînent à l’étage, ça va le faire ! Alors que la nuit tombe, Pierre part chercher de la neige que nous allons faire fondre. Nous mangeons de la semoule à peine cuite et savourons un nouveau chocolat chaud. Merci aux personnes ayant laissés à disposition ces trésors ! Nous nous apercevons rapidement que la cheminée bouchée empêche le tirage de s’effectuer correctement… Le poêle refoule atrocement ! L’expérience est cocasse.

13 avril (jour 13) – La nuit est mémorable. La neige dans les gourdes posées près du poêle n’a pas fondue. Pendant la nuit, nous avons organisé des tours de garde sous prétexte de maintenir ce feu qui ne dégage aucune chaleur. Toutes les deux heures, roulement ! Changement de couchette et empilement de fringues pour l’élu·e n’ayant ni couverture ni duvet. Agnès finit la nuit assise sur le poêle, Pierre allongé sur le banc en face, moi enfumée à l’étage. Lorsque la lueur de l’aube apparaît, nous entamons le retour dans la vallée. À 6h30 du matin, au départ du refuge de la Goulandière, les nuages s’accrochent sur les crêtes du Vercors, le Grand Veymont.

Au village, Léopold est là avec la voiture. Sur le chemin du retour, nous parlons de repas savoureux, de poulet rôti, de haricots verts, de douche chaude, de matelas confortable et de couette duveteuse. La voiture serpente dans les virages, je suis éclatée de fatigue et je me laisse bercer un moment par ces douces rêveries… Mais l’attrait du poulet-rôti-haricots-verts n’était pas suffisant. De retour à Romans, j’appelle Daniel : l’opportunité de construire un igloo ne se présente pas tous les jours ! Il m’envoie une liste de matériel et je défais mon sac, je le refais, je rationne mes repas, je dois trouver des raquettes, m’équiper pour la neige… L’excitation me fait oublier la fatigue de ces 13 jours d’itinérance.

14 avril (jour 14) – Il est 7h40, Daniel m’attend déjà. Pendant le trajet vers les hauts plateaux du Vercors, Daniel partage des anecdotes alpines en tout genre et quelques expériences himalayennes. Sous les arbres, nous chaussons rapidement les raquettes, quel plaisir de faire ses traces ! Nous nous arrêtons après quelques kilomètres sur un replat, l’épaisseur de neige est suffisante : c’est ici qu’on dort ! En réalité, nous allons construire un quinzy. L’igglo, traditionnellement associé aux Inuits, est un abri élaboré à l’aide de blocs de neige alors que le quinzy est d’origine amérindienne et fabriqué à partir d’un amoncellement de neige durcie et évidé.

Nous tassons régulièrement le monticule de neige pour lui donner une solidité suffisante et éviter qu’il ne s’effondre lors du creusement. Le sol de la chambre est enterré à plusieurs dizaines de centimètres sous la surface de la neige. À l’intérieur, nous tenons assis. Je découvre que la neige laisse relativement bien passer la lumière mais arrête tous les bruits. C’est le silence absolu.

15 avril (jour 15) – La température n’est pas tombée en dessous de zéro dans l’igloo, mais cela ne m’a pas empêchée de me réveiller souvent. Mon matelas n’étant pas assez isolant, je sentais le sol glacial à chacun de mes mouvements. Pendant la journée, je profite du silence environnant et du bruit sourd de mes raquettes dans la neige. Notre itinéraire nous mène vers des points d’eau et nous croisons la piste de deux loups. J’observe avec émotion les empreintes dans la neige, elles font presque la taille de la paume de ma main. En marchant à côté des traces, j’imagine les animaux trottiner, l’un derrière l’autre… Les hauts plateaux du Vercors sont classés comme zone de présence permanente, la présence du loup gris y est confirmée depuis 1998.

Cette aventure vertacomicorienne (relative au Vercors !) touche à sa fin mais je ne suis pas au bout de mes surprises avec Daniel. Lors de notre dernier pique-nique, il me propose de partir dans l’Himalaya indien !

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